Connaissances récentes concernant l'hypothèse de la schizophrénie comme trouble du développement neural, avec interprétations et observations du cas du cerveau de Wagner.

Yuko SUZUKI, Takeshi MATSUISHI

Université nationale de Yokohama, Faculté d'Éducation et de sciences humaines

1. Introduction

Nous nous sommes intéressés au rapport entre les observations scientifiques des troubles nerveux du cerveau et des délires, en cherchant à obtenir plus d'informations sur le sujet qui est apparu au cours des dernières années grâce aux observations cérébrales du vice-principal Wagner, qui a été le premier et le plus célèbre cas de paranoïa en Allemagne au début du vingtième siècle. Nous avons examiné la bibliographie et les résumés des traductions des rapports sur ce sujet en association avec les résultats cités dans une thèse récente de recherche sur la schizophrénie.

2. Résumé du cas Wagner 1

En 1913, le vice-principal Wagner, âgé de 38 ans, a assassiné sa femme et ses quatre enfants (cinq personnes en tout) avec un gourdin et un couteau dans sa propre maison. Il s'est ensuite rendu directement dans le village de Mühlhausen où il enseignait, et a déclenché quatre incendies puis tiré sur plusieurs personnes les unes après les autres. Huit personnes sont mortes sur le coup et douze autres ont été grièvement blessées. Wagner a été arrêté puis interné à l'hôpital de l'Université de Tubingen afin d'observer son état mental. Il a fait l'objet d'une expertise psychiatrique de six semaines par le Dr Gaupp, à la suite de quoi il a été isolé dans une chambre pendant les 24 années suivantes, jusqu'à sa mort en 1938, à l'hôpital psychiatrique.

Voici l'énoncé des faits et un résumé du rapport du Dr Gaupp.

Histoire familiale de Wagner : Les deux frères de sa mère étaient schizophrènes, un grand-oncle était frappé d'une psychose paranoïaque avec délire religieux. Le père est décédé d'une dépendance à l'alcool et la famille a dû supporter le fardeau des dettes du père contractées pour assouvir son alcoolisme. La mère était sujette à une mélancolie pessimiste, elle avait des idées de persécution non spécifiques et présentait des désirs sexuels anormaux.

Histoire du développement de Wagner : Il était affligé par des rêves terribles de persécution et de peur depuis l'enfance et montrait des signes d'anxiété et de délire psychopathologique. À 18 ans, il était devenu dépressif en étant convaincu d'être responsable de crimes et dépendant de la masturbation, à tel point que lorsqu'il repensait aux conversations de son entourage, les individus, les mots et les gestes étaient déformés.

Incitation à l'acte : À l'âge de 26 ans, après la période de bestialité, il avait l'impression que des rumeurs circulaient à son propos dans le village et qu'il était suivi et persécuté, à la suite de quoi le délire de persécution s'est développé. Par peur des agressions, il portait toujours deux pistolets. Il aurait planifié le massacre de Mühlhausen en représailles, probablement en raison de la persécution qu'il avait l'impression de subir.

Plan de meurtre : Le plan a été mûri sur de nombreuses années. Il prévoyait de « se suicider avec son arme après avoir déclenché des incendies dans le district Ludwinsburg, décidant de tuer toute sa famille, mettant le feu au village après avoir assassiné tous les adultes de Mühlhausen ». Le meurtre de sa famille est justifié par le fait qu'il aurait voulu lui épargner de ressentir de la honte pour ses actes.

Après l'internement en hôpital psychiatrique : Pendant une courte période, la violence du délire s'est maintenue, sans aucun sentiment de culpabilité ou de remords. Plus tard, dans un environnement calme (sa chambre privée, probablement), même si le trouble s'est provisoirement atténué, il a exprimé de la déception quant à l'échec de son plan meurtrier et, quelques moments avant sa mort, il déclarait encore : « même si des centaines de personnes étaient mortes, ça ne serait rien comparé à ma souffrance ».

Interprétation de Gaupp : Le trouble de développement complexe de Wagner était dû à de nombreux facteurs, notamment des facteurs génétiques, l'environnement et l'expérience. Il a été admis qu'il avait conservé sa clarté d'esprit, et qu'il se souvenait de son but et de son acte mais qu'il n'y avait pas de schizophrénie (comme dans le cas de paranoïa de Kraepelin). Les observations de l'autopsie du cerveau après le décès ont été les suivantes : « aucune observation morbide à l'œil nu. L'examen au microscope n'a donné aucun résultat ».

Conservation du cerveau après le décès : En raison d'une tuberculose miliaire, le cerveau a été envoyé après le décès au centre de recherche sur le cerveau de Berlin, mais il a été renvoyé à cause d'une déformation lors des manipulations ; cependant, sa destination n'est pas clairement connue. Bogerts a découvert cet échantillon de cerveau par hasard à l'université Vogt de Düsseldorf Centre de recherche sur le cerveau (Institut für Neuroanotomie und C. und O. Vogt Institut für Hirnforschung), et a rédigé le rapport (source du texte original : Mehrdimensionale Psychiatrie, Gustav Fischer Verlag, Stuttgart, pp 78 - 89, 1997)

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3.Rapport Bogerts 2

Après le décès, le cerveau de Wagner a été découpé en deux, l'hémisphère gauche et l'hémisphère droit, l'hémisphère droit a été inclus tel quel en paraffine (sans être coupé ou fixé sur lames) et l'hémisphère gauche a été coupé selon le plan coronal et une coloration a été réalisée toutes les 50 lames. Il a été décidé de découper également le cervelet mais aucune coloration n'a été réalisée. Par conséquent, un examen scientifique structurel des sections continues a été possible uniquement avec l'hémisphère gauche.

Une partie a été reconnue comme réellement atteinte : le cortex entorhinal de la section arrière convexe de la région gauche du parahippocampe. Plus précisément, une inclusion de 2 mm de profondeur et de 2 cm longueur a été observée dans la structure du système limbique central. L'inclusion était recouverte d'une membrane souple, avec une fibre perforante qui la traversait à un endroit où elle n'aurait pas dû se trouver, ce qui explique la structure anormale de la couche de cellules. D'après cette constatation, aucune pathologie cérébrale ou lésion externe ne s'étant produite depuis l'âge adulte, la cause de cette anomalie serait donc un trouble de la croissance limité dans la circonvolution parahippocampique. Le changement pathologique dans le cerveau de Wagner se situait dans la branche perforante, qui est un élément crucial du processus d'information du cortex, et les lésions qui en ont résulté sur le fonctionnement de cette section ont entraîné une dissociation des émotions et de la reconnaissance (tout en étant capable de systématiser émotionnellement les expériences passées et présentes sans les adapter à la situation réelle). La mutation neurologique du système limbique dans la région du lobe temporal du cerveau ainsi formée correspond aux observations réalisées par le champ de recherche sur la schizophrénie biologique. Par conséquent, l'apparition de délires n'est pas expliquée de façon satisfaisante par la psychologie du développement du Dr Gaupp et il convient de requérir des informations supplémentaires sur les tendances aux maladies cérébrales.

4.Tendances de la recherche sur la schizophrénie par imagerie du cerveau et hypothèse sur les troubles de la croissance neurologique.

Grâce aux progrès de la recherche sur l'imagerie du cerveau, d'excellents résultats ont été obtenus par des recherches biologiques sur la schizophrénie. Nous tenterons de présenter les connaissances sur la recherche en imagerie du cerveau, qui ont également contribué à faire progresser la recherche neuroscientifique sur le cerveau de Wagner.

Dans la deuxième moitié des années 1970, même s'il a été fait état de nombreuses recherches par tomodensitométrie sur l'expansion des ventricules du cerveau dans les cas de schizophrénie, il était difficile d'identifier les parties essentielles du cerveau qui permettent les changements de forme. À partir de la deuxième moitié des années 1980, des anomalies de forme ont été prouvées grâce à l'utilisation de l'IRM. Le changement de substance du cerveau a été identifié comme étant associé à l'hippocampe, à l'amygdale et aux lobes temporaux, notamment l'expansion des ventricules cérébraux et l'atrophie de la substance cérébrale associée aux symptômes négatifs3.

En outre, l'importance des observations complémentaires du cerveau schizophrène après le décès a été évaluée par des recherches ayant recours à l'IRM. En d'autres termes, sans qu'on ait pu identifier de gliose par le biais d'observations neuropathologiques, en raison de la présence d'anomalies de la structure cellulaire sous la forme d'imperfections de la migration des cellules nerveuses et de la prolifération de la couche ectodermique, il n'y a pas de changement post-natal dans la cause originelle de la schizophrénie, d'après l'hypothèse4 qui cherche à identifier des troubles dans le processus de développement nerveux dès la période prénatale. D'un point de vue embryonnaire, la migration des cellules vers le cortex se termine vers la fin du 5e mois de grossesse. En raison du fait que la gliose contre l'invasion du cerveau s'est produite à la moitié de la période prénatale ou après, on peut suggérer que les troubles du système nerveux se sont produits au milieu de la grossesse. Outre la cause génétique, dont le rôle est primordial, des rapport invoquent comme raison de cette invasion une corrélation avec, par exemple, une infection par le virus de la grippe dans l'utérus, une incompatibilité Rhésus, de graves troubles de l'alimentation, l'intoxication médicamenteuse, etc.5.,

D'un autre côté, en considérant la recherche réalisée pour prouver les changements anormaux post-natals de la forme du cerveau, les proportions de rétrécissement des deux hémisphères cérébraux, de l'hémisphère droit du cervelet et du corps calleux, ainsi que la proportion d'expansion des ventricules du cerveau sont plus importantes par rapport à celles d'autres personnes6. Il est également suggéré que le changement pathologique avancé a causé le changement de forme même après le déclenchement de la schizophrénie.

Les recherches portant sur la relation avec le métabolisme du flux sanguin dans le cerveau ont été réalisées grâce aux méthodes de TEP et de TEM, etc. Cependant, les symptômes de distorsion de la réalité (hallucinations auditives et délires) ont montré une corrélation positive avec la circonvolution parahippocampique latérale gauche et le flux sanguin du corps strié gauche, tandis qu'une corrélation négative a été observée avec la partie postérieure droite de la circonvolution du corps calleux7. En ce qui concerne les symptômes de manque d'exercice mental ou de dissociation (émotions non conformes, troubles de la pensée, manque de substance dans la conversation), une corrélation a été établie avec le flux sanguin de plusieurs parties, fondée sur plusieurs réseaux neuraux. De même, dans d'autres recherches, les troubles de la pensée et la tendance à l'exagération chez les patients n'ayant jamais été traités ont démontré une corrélation positive avec le flux sanguin dans les deux parties des lobes frontaux et les deux parties des lobes temporaux, tandis que les délires, les hallucinations et la méfiance ont semblé montrer une corrélation négative avec le flux sanguin dans la circonvolution du corps calleux, la tempe gauche et le lobe pariétal gauche. Cependant, une fois les symptômes positifs éliminés par traitement, il a été démontré que l'impact du flux sanguin était associé uniquement aux symptômes négatifs8. Cela indique que différents réseaux neuraux ont joué un rôle selon le type de symptômes positifs. D'autre part, il a été prouvé que le changement du pool d'acide glutamique chez le patient schizophrène au cours de la période chronique varie en fonction du type clinique9. Concrètement, dans le cas prouvé d'apathie émotionnelle, l'activation de l'aire 10 de Brodmann du lobe frontal a chuté, alors que, dans le cas de délires, c'est l'activation de l'aire 40 de Brodmann du lobe pariétal droit ou l'activation de l'aire 38 de Brodmann du lobe temporal gauche qui chute, respectivement. Il est probable que des sections telles que celles-ci, qui sont les aires du cerveau qui gèrent la connaissance et le discernement sophistiqué, vont causer des troubles des fonctions neurales.

Dans le cadre de la recherche portant sur les fonctions de communication neurales, eu égard aux changements qui se produisent dans le cerveau après le décès, l'hypothèse selon laquelle une augmentation du récepteur dopamine D2 dans le noyau accumbens du corps strié a attiré l'attention. Cependant, des recherches récentes à l'aide de TEP ont réfuté cette hypothèse à plusieurs reprises10. L'augmentation de dopamine dans l'amygdale gauche, la baisse du nombre de récepteurs KA (acide kaïnique) dans l'hippocampe gauche, la réduction de la partie qui assimile l'acide 4-aminobutanoïque dans l'hippocampe gauche etc., sont des phénomènes constatés dans des articles publiés mais aucune autre recherche publiée ne suggère la présence d'anomalies neuroscientifiques dans ce domaine de la schizophrénie.

5.Conclusions

Jusqu'à présent, les nombreuses recherches suggèrent une corrélation entre les parties internes du lobe temporal, la circonvolution parahippocampique (notamment l'hippocampe), la circonvolution du subiculum, le cortex entorhinal et les symptômes positifs de schizophrénie. Le cortex entorhinal, étudié dans la modification pathologique du cerveau de Wagner correspond à l'aire 28 de Brodmann, située dans la partie antérieure de la circonvolution parahippocampique. À ce stade, les informations provenant de l'aire d'association du lobe frontal et du lobe temporal etc., du corps strié, de l'amygdale, du thalamus et de l'hypothalamus, sont recueillies. Il s'agit donc d'un des centres de convergence des informations du cortex. Bien que cette zone soit fortement régulée par les neurones à dopamine, ce processus est influencé par la fonction de l'acide glutanique. Certains rapports font également état d'une chute de la régulation de dopamine dans le cortex olfactif interne dans le cerveau des personnes schizophrènes décédées.

En ce qui concerne la forme anormale du cerveau après la mort, bien que de nombreux rapports aient été rédigés à l'aide d'analyses par IRM, ils n'ont pas nécessairement donné de résultats concordants. Des rapports négatifs ont également été rédigés concernant l'expansion du ventricule latéral gauche et le volume du cerveau.

Il existe plusieurs types cliniques de schizophrénie (notamment les schizophrénies de délire et de dissociation) et, étant donné que la possibilité de changements dus aux progrès cliniques doit être envisagée à l'avenir, des recherches comparatives visant les éléments de cette nature peuvent s'avérer nécessaires.

Au vu des recherches menées in vivo par le biais d'analyses d'imagerie récentes, avec les connaissances accumulées par la recherche post mortem sur les cerveaux, nous pourrions nous attendre à ce que les causes de la schizophrénie et les mécanismes de déclenchement des divers symptômes soient établies, et encore plus à ce que la relation entre le cortex olfactif interne, l'hippocampe, le système limbique et les fonctions mentales soit expliquée clairement.

En outre, ces éléments, rapportés aux recherches sur l'imagerie des schizophrènes, donnent des indications récentes sur les relations entre les symptômes négatifs et l'hypofrontalité, la relation entre la création de membrane cellulaire et la résolution analysée par la Medical Research Society (MRS), ainsi que sur les corrélations entre les différences d'anomalies de l'hémisphère droit et gauche (perte de la dominance de l'hémisphère gauche dans le plan temporal) et le système de transmission de l'information influencé par la sérotonine, etc., mais nous préférons ne pas aborder ces éléments ici car ils sont sensiblement différents de l'interprétation du développement de la paranoïa de Wagner.

Références

(1).Is there neuro-anatomical substance in development of delusions? - Supplement to the Wagner Case -  Bernhard Bogerts(Iwawaki, Nakamura, Senba - abridged translated version and bibliography: Psychiatry 42 (6) 627-628, 2000
(2). As above: 629-630
(3). Yoshiroh Ohkubo: Image analysis of negative symptoms - Research using MRI, PET, Clinical Psychiatry 25.169-180, 1996
(4). Roberts GW: Schizophrenia: a neuropathological perspective. Br. J Psychiatry 158.8-17, 1991
(5).Weinberger DR: Schizophrenia as a Neurodevelopment Disorder. In Hirsch SR, Weinberger DR (Eds); Schizophrenia. Blackwell Science Ltd. London, pp 293-323, 1995
(6). DeLisi LE, Sakuma M, Tew W et al: Schizophrenia as a chronic active brain process: a study of progressive brain structural change subsequent to the onset of schizophrenia. Psychiatry Research 74:129-140, 1997
(7). Liddle PF, Friston KJ, Frith CD et al: Patterns of cerebral blood flow in schizophrenia. Brit. J Psychiatry 160: 178-86, 1992
(8).  Sabri O, Erkwor R, Schreckenberger M et al: Correlation of positive symptoms exclusively to hyperfusion or hypofusion of cerebral cortex in never-treated schizophrenics. Lancet 349: 1735-1739, 1997
(9). Eiji Kishimoto: Imaging diagnostic guidelines (1) MRI, PET, MRS: Clinical Psychiatry 27 (5) Image, 1998
(10).Eiji Kishimoto: Research of Dopamine D1 & D2 receptors in Schizophrenia using PET. Psychiatry Treatment Study  12.715-716, 1997

Other references:
What schizophrenia brain scanning research clarified - Eiji Kishimoto: Clinical Psychiatry 27(5)515-522, 1998.
What schizophrenia posthumous brain research clarified - Osamu Shirakawa et al: Clinical Psychiatry 27(5)525-535, 1998.
Mapping The Mind - Rita Carter(scientific adviser Christopher Frith).University of California Press,2000.

(publiée pour la première fois dans leJournal of Disability and Medico-Pedagogy, Vol.17, 2008 p7-13)

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