Historique des soins prodigués aux personnes souffrant de handicaps mentaux à Yokohama et perspectives d'avenir

- Des influences venues des États-Unis et de la France-

Hiroyuki TAKAHASHI, Takeshi MATSUISHI

Yokohama National University
Faculty of Education and Human Science
Department of Disability Studies


Le présent document résume les mécanismes qui ont permis à la ville de Yokohama de développer depuis 1987 un programme unique en son genre de protection sociale destiné aux personnes souffrant d'un handicap mental. À l'époque, la détermination d'un handicap était tombée dans la sphère des responsabilités incombant aux municipalités dans certaines zones métropolitaines du Japon. Le système très distinctif de la ville de Yokohama n'a pas changé, même après 2003, lorsqu'une vague de néo-libéralisme venue des États-Unis provoqua un profond bouleversement dans l'ensemble de la société japonaise. Dans le cadre du système japonais conventionnel de protection sociale, mis en place par la Loi de 1960 sur les soins aux personnes souffrant d'un handicap mental, le gouvernement assumait les responsabilités de leur traitement. Sous l'influence du néo-libéralisme, un nouveau système entrait en vigueur : désormais, les contrats entre les personnes et les prestataires de service avaient pour rôle d'établir les modalités du traitement de chaque personne handicapée. Malgré cette tendance globale, Yokohama décida de conserver son système indépendant des politiques nationales gouvernementales, afin de chercher des solutions prenant en compte les problèmes et les circonstances propres à la ville, telles que la densité urbaine élevée et la forte augmentation de la population dans les quartiers défavorisés. Une équipe composée de personnel employé par la ville de Yokohama et issu des services du budget, de la protection sociale et des soins médicaux, élabora un modèle de protection sociale, qui fait figure d'exemple utile dont pourront s'inspirer d'autres organismes de gouvernance.

Le néo-libéralisme constitua la source d'un mouvement dans le monde entier s'opposant aux soins psychiatriques et au placement de patients dans des établissements. De nombreuses lois nationales japonaises liées aux traitements médicamenteux psychiatriques furent modifiées en conséquence, tandis que le Ministère de la santé, du travail et de la protection sociale annonçait qu'aucun nouvel établissement psychiatrique ne serait ouvert. En plus des pressions émanant de l'OMS visant à limiter le nombre de patients dans des établissements de soins psychiatriques, la ville de Yokohama était également confrontée aux impératifs de la réforme. Depuis lors, Yokohama est parvenue à limiter le pourcentage de patients dans des établissements de soins psychiatriques. Pour ce faire, elle a créé des places au sein de communautés où les personnes souffrant de handicap mental peuvent résider dans le confort, via diverses stratégies efficaces, compatibles avec son environnement particulier et grâce à un financement généreux et un soutien solide à plusieurs niveaux de la part de la municipalité.

La Loi de 1950 sur la santé mentale avait institué le placement des personnes souffrant d'un retard mental dans des établissements psychiatriques au Japon. Ce paramètre ne changea pas, même après l'adoption en 1995 d'une Loi sur la santé et la protection sociale pour les perturbations psychiatriques, qui mettait en évidence les problèmes de protection sociale liés aux troubles mentaux. Compte tenu de ce contexte, il s'avère impossible de ne pas prendre en considération l'histoire de la psychiatrie en étudiant le traitement réservé dans la société japonaise aux personnes souffrant d'un retard mental.

Dans l'histoire de la psychiatrie, le « retard mental » fut reconnu pour la première fois en tant que diagnostic psychiatrique dans la classification établie lors de la Révolution française par Philippe Pinel1) et Jean-Étienne-Dominique Esquirol2). Les bases des systèmes de classification contemporains, tels que le DSM-III 3) et la CIM-104), ont en grande partie été posées par les travaux d'Emil Kraepelin. Le DSM-III s'appuie sur une approche dite néo-kraepelinienne, tandis que la CIM-10, élaborée par l'OMS, est actuellement considérée comme le système international standard de classification(DSM-VI est surtout utilisé aux États-Unis de nos jours),. Mis à part ces méthodes conventionnelles, le mouvement d'opposition à la psychiatrie, dirigé entre autres par R.D. Laing5) lors des années 50 et 60, a suscité un certain intérêt dans le monde entier, engendrant une tendance vers l'arrêt du placement dans des établissements et l'abandon des établissements psychiatriques.

La municipalité de Yokohama adopta cependant une approche réfléchie dans son traitement de cette tendance vers l'arrêt du placement dans des établissements psychiatriques et l'opposition à la psychiatrie. La ville préféra utiliser le modèle conçu par Henry Ey6), selon lequel l'opposition à la psychiatrie correspond à un rejet intégral du concept de maladie mentale, ce qui pourrait conduire à l'anéantissement des systèmes de traitement des troubles d'ordre mental. Soupçonnant que le véritable objectif du mouvement américain visant à l'arrêt du placement dans les établissements consistait à limiter les dépenses et non pas à améliorer les traitements (contrairement aux buts du mouvement dans les pays scandinaves), les prestataires des soins pour troubles mentaux à Yokohama firent valoir qu'il était impossible d'appliquer de manière efficace au sein de la société japonaise un arrêt du placement dans les établissements tel qu'il était défendu aux États-Unis7). Ils expliquèrent ainsi que le terme « deinstitutionalization » désignant l'arrêt du placement dans des établissements ne convenait pas aux particularités du Japon dans la mesure où, dans l'archipel, les établissements de traitement des troubles mentaux ne pouvaient accueillir que centaines patients au plus et qu'ils étaient d'envergure bien plus modeste que les établissements américains comptant des milliers de patients.

Après avoir comparé le modèle américain, qui prône la privatisation et la réduction des dépenses publiques, au modèle français, soutenu par un gouvernement solide et bénéficiant d'un financement élevé, le service de santé et de protection sociale de Yokohama conclut qu'une grande ville japonaise comme Yokohama aurait bien plus à gagner d'un modèle français axé sur le principe d'un secteur social et médico-social, renforcé par les efforts de la communauté dans chaque région8). La ville de Yokohama conclut que le soutien du gouvernement envers les handicapés revêtait un caractère absolument crucial dans la préservation d'un bon niveau de santé élevé parmi ses habitants, et qu'il s'agissait d'une manière légitime et utile de dépenser les fonds publics.

Après avoir déterminé que la majorité des patients avec handicaps mentals voués à un long séjour dans des établissements psychiatriques pouvait tirer parti de programmes de santé, la ville de Yokohama plaça les patients avec handicaps mentals des établissements psychiatriques dans divers centres de soin de taille modeste. La ville de Yokohama a fait preuve d'un « soutien gouvernemental modéré », renforçant les capacités de chaque communauté secondaire, à l'instar du modèle français de secteur social et médico-social, tout en préservant le modèle conventionnel japonais dans lequel le gouvernement assume les responsabilités des soins aux personnes souffrant d'un handicap mental.

En guise de conclusion, nous noterons que la ville de Yokohama illustre comment une zone métropolitaine à forte densité urbaine s'avère incompatible avec le modèle de soin américain qui s'appuie sur la philosophie du néo-libéralisme ainsi qu'avec la politique du gouvernement fédéral japonais qui se contente de répliquer le modèle américain. Axé sur le modèle français aux accents plus socialistes9), le programme de protection social adopté avec succès par Yokohama puisait ses origine non seulement dans les finances stables de la ville, mais également dans une volonté de proposer de meilleurs soins, en prenant en compte le contexte international et historique accompagnant la question des troubles mentaux.

Reference

1) Pinel, P., Traité medico-philosophique sur l’aliénation mentale, ou la manie, Richard, Caille et Ravier, 1800.
2) Esquirol, E. : Mental Maladies, Treatism on Insanity, translated by E.K.Hunt. 1845.
3) American Psychiatric Association: Diagnostic and Statistical Manual of mental Disorders(Third Edition),1980.
4) WHO: The ICD-10 Classification of Mental and Behavioural Disorders,1992.
5) Rain, R.,D.: The Divided Self-An Existential Study in Sanity and Madness, Tavistock Publication Ltd. 1960.
6) Henry Ey: L’antipsychiatrie(son sens et controsense)  dans Encyclopédie Médico-Chirurugicale,1974.
7) Trent,Jr.,J.,W.: Inventing the Feeble Mind-History of  Mental Retardation in the United States, University of California Press, 1994.
8) Massé,G..et Houssin, X. : Service Social et psychiatrie de Secteur, LES EDITION ESF, 1983.
9) Jaeger, M.: Guide du Sectueur social et médeco-social, 7e  edition, DUNOD, 2009.

[index]